samedi 2 décembre 2017


Les danseurs oubliés





Je viens de lire une belle histoire que je voudrais partager.

A l’occasion de l’Exposition universelle à Paris en 1937, il y a eu également une exposition de danses populaires.  Elle était l’initiative d’un suédois, Rolf de Maré, installé à Paris et fondateur des Archives Internationales de la Danse. L’entre- deux guerres était une époque où on s’intéressait beaucoup à la danse sous ses formes tant populaires qu’avant-gardistes : pensez aux Ballets Russes, à Isadora Duncan ou Joséphine Baker…Des instituts de danse européens furent invités à soumettre des maquettes de danseurs en costumes populaires. Les figures devraient être en fil de fer et comme figées dans un mouvement de danse.

Que sont devenues les maquettes après l’exposition de 1937 ?  Les activités des Archives ont cessé dans les années 1940. Rolf de Maré est rentré à Stockholm, où il a fondé le Musée de Danse. Les maquettes suédoises auraient été envoyées à ce musée, et les autres transférées à la Bibliothèque de l’Opéra de Paris.

Dans les années 1970, une ethnologue polonaise s’est mise à chercher ces maquettes. Le Musée de Danse à Stockholm n’en avait aucune connaissance. L’Opéra de Paris a confirmé posséder des documents de l’exposition comme des affiches, mais ne savait rien sur les maquettes. La chercheuse s’est néanmoins rendue sur place. En traversant les couloirs de l’Opéra, elle a vu des maquettes de scènes d’opéras, et a dit aux documentalistes de l’Opéra l’accompagnant que c’était de figures de ce genre, montées sur des planches de bois, qu’elle cherchait. L’une des personnes lui dit alors : « Nous avons quelque chose sous le toit, au petit magasin ». Effectivement, elle y a trouvé non seulement les huit maquettes polonaises qu’elle cherchait, mais un grand nombre d’autres figures des pays européens. Et voilà que, après des échanges entre les institutions françaises et polonaises, cette collection se trouve aujourd’hui au Musée ethnographique de Varsovie – et j’ai hâte de la voir !

Voici quelques-unes de ces maquettes. Regardez avec quel soin ces figures sont habillées dans leurs costumes régionaux brodés, ornés de dentelles, de bijoux en miniature, de rubans multicolores qui virevoltent….


Roumanie/ Romania


Estonie/Estonia

Alsace

Suède / Sweden

Serbie / Serbia

Pays Basque / Basque Country

Pologne, danse des montagnes des Tatras / Poland, dance from the Tatra mountains

Slovaquie / Slovakia

Angleterre/ England, Morris dancing

Croatie / Croatia

Crète/ Crete

Pologne, danse de Cracovie/ Poland, Cracow dance



The forgotten dancers

I have just read a wonderful story that I would like to share.

In 1937, there was a Universal Exhibition held in Paris. Among other events, there was an exhibition of popular dances, at the initiative of a Swede, Rolf de Maré, who resided in Paris and had founded the International Dance Archives there. The interwar years were a time for vivid interest in dance, both in its ethnic and avant-garde forms: think the Russian Ballet, Isadora Duncan or Joséphine Baker… European dance institutions were invited to  contribute with small-scale models of dancers. The  figures were to be made of wire, dressed in regional costumes and holding the pose typical of specific folk dances.

What happened to those models after the 1937 exhibition ?  The Dance Archives were no longer active after the war. Rolf de Maré returned to Stockholm, where he founded the Dance Museum. The models of Swedish dances were believed to have been sent to that Museum, and the remaining ones handed over to the library at the Paris Opera.

In the 1970s, a Polish folk dance researcher started looking for those scale models. The Dance Museum in Stockholm replied that they had no idea of their whereabouts. The Paris Opera confirmed that they had some materials, such as posters, connected with the 1937 exhibition, but knew nothing of the models. Nevertheless, the researcher made a visit to the Paris Opera. While she was walking along the corridors of the Opera building, she saw small-scale models of opera scenes and pointed out to the Opera staff accompanying her that she was looking for that kind of models, mounted on pieces of wood. One member of the staff then said: « We do have something under the roof, in the small storage room ». And there she discovered not only the eight Polish models she had initially set out to find, but a number of other ones.  After years of discussion between French and Polish institutions, this collection found a permanent home in the Ethnographic Museum in Warsaw – and  I cannot wait to see it!

Here are a few of the models. Look with what care the figures have been dressed in their regional costumes, meticulously embroidered, decorated with tiny trims and miniature jewellery, with ribbons dancing to the music…

Source : Czas świętowania (« Le temps des fêtes » ; “Celebration time”), ed. A. Czyżewski ; Warszawa 2013


vendredi 20 octobre 2017

Les broderies à Lviv

J’ai continué mon exploration des broderies ukrainiennes récemment en visitant Lviv, en Ukraine occidentale. Ici on se rend compte de la proximité des Carpathes et de ses groupes ethniques comme les Hutsuls ou les Lemko. 

Un bijou spécifique de cette région est la kryvulka, une sorte de col en perles de rocaille. En voici une sur un mannequin au Musée Ethnographique, et sa version moderne au marché d’artisanat !




L’intérêt des Ukrainiens voué aux broderies traditionnelles semble très grand, à juger par la publication récente de ce somptueux livre sur les chemises brodées ! 

Un autre, tout aussi impressionnant, vient de sortir et porte sur les coiffes.

J’ai eu l’occasion de visiter une exposition – privée, au dernier étage d’une galerie de boutiques de luxe – où j’ai pu voir ces corsages en lin ou en chanvre, richement brodés, ainsi que des coiffes de mariées, faites avec des fleurs séchées ou en papier de soie, en duvet d’oie ou avec des pompons de laine .


On retrouve les broderies folkloriques dans les vêtements quotidiens. Voici un pull que j’ai acheté qui reprend la broderie hutsul, orange et géométrique, comme vous pouvez la voir sur le bord  de ce rushnik (serviette de cérémonie) brodé.



J’ai trouvé deux anciens kersetki, gilets pour femme. L’une, de la région de Bucovine (près de la frontière avec la Roumanie), était vendue dans l’entrée de l’exposition de broderie dont je vous ai parlée. 


















L’autre, de la région de Lviv même, était une trouvaille au marché d’artisanat, auprès de ce monsieur, habillé dans un serdak typique des Carpathes. Il vendait aussi d’anciens gilets en peau de mouton, richement décorés non seulement avec des broderies, mais aussi avec les boutons multicolores en plastique !



Au même marché, je suis tombée sur un kilim hutsul des années 1920, sur lequel on retrouve cette prédilection pour les formes géométriques.


J’ai aussi vu des objets brodés dans un musée où je ne me l’attendais pas : le Musée de la lutte pour l’indépendance retrace l’histoire de ce mouvement au cours du 20e siècle. Une vitrine contient des travaux des femmes prisonnières : de petites image brodées, des mouchoirs, des cartes de vœux, une collection extrêmement touchante quand on pense dans quelles conditions ces pièces ont été réalisées. Je n’ai pas pu les prendre en photo, mais j’ai retrouvé un de ces objets sur l’internet avec le texte « souvenir de la prison 1949 ». 

Ce qui veut dire que la créativité peut être un réconfort dans des conditions bien difficiles.











Embroidery in Lviv

I recently visited Lviv in Western Ukraine and continued my exploration of Ukrainian embroideries there. While in Lviv, I became aware of the proximity to the Carpathian mountains, with their ethnic groups such as the Hutsuls or the Lemkos. 
One particular piece of jewellery from that region is the kryvulka, a kind of collar made of seed beads. Here’s one seen at the Ethnographic museum, and its modern rendition at the craft market.



It seems that the Ukrainians have a very strong interest in their traditional crafts, since glossy, impressive books on the subject have  recently been published, such as this one on embroidered shirts; as well as another one, just as huge, on head dresses.  I had the opportunity to visit an exhibition, which was a private one, at the top floor of a luxury shopping mall, where I saw those linen or hemp shirts, richly embroidered, as well as bridal head dresses, made of dried or paper flowers, goose down or woollen pompoms.


















Folk embroidery reappears on everyday garments. Here is a sweatshirt I bought, which reuses Hutsul motifs, orange and geometrical, as you can see from this embroidered rushnik (ritual towel).





























I found two old  kersetki, women’s waistcoats. The first one, from the Bukovina region (near the Romanian border), was for sale at the entrance of the embroidery exhibition I mentioned. 




The other one, from the Lviv region, was a find at the craft market, bought from this gentleman wearing a serdak typical of the Carpathian mountains.





 He also had for sale vintage  sheepskin waistcoats, richly decorated not only with embroideries, but also with multicoloured plastic buttons !

At the same market I was lucky to find a Hutsul kilim from the 1920s, which again  shows their preference for sharp geometric motifs.




There were more embroidered things at a museum where I did not expect to find any: The Museum of the Independence Struggle tells the history of that movement throughout the twentieth century.  In a glass case , there are little objects made by imprisoned women : small embroideried pictures, handkerchiefs, birthday cards – a extremely touching collection when one considers in what conditions these objects were made. I was not able to take pictures of them there, but I found a  picture of one of the objects on the Internet with the text « memento of the prison, 1949 ». 



Which shows that creativity may be a comfort in quite adverse conditions.




dimanche 10 septembre 2017

Les roses du soleil


"Les roses du soleil" - solrosor, tel est le nom des tournesols en suèdois. Joli nom, n'est-ce pas? Et j'adore voir ces champs de soleils pendants mes voyages en été.

Il y a un an, j'ai visité Zalipie, le village en Pologne décoré aux fleurs peintes. J'avais ramené une petite planche à découper, peint dans le style local. Ce décor m'a servi de modèle de broderie sur une robe!

J'aime beaucoup la poterie portugaise  en forme de fleurs et de légumes de toutes les couleurs. Voici un petit pot que j'ai rapporté de Cascais (bonjour, Paula!).

Le tournesol est la fleur de l'état  de Kansas aux Etats-Unis. Dans les années 1930, il y avait un modèle de quilt assez courant avec des tournesols appliqués. Voici un quart ancien d'un tel quilt, trouvé là-bas. J'y ai ajouté un bord pour l'offrir aux minous de Midwinter Yarns dans leur nouvelle maison en Ecosse. Avant mon départ, il a été testé et approuvé par mon Améline Dentelle. Et comme vous voyez, Miss Poppy Midwinter l'a accepté, elle s'installe dessus pour contempler les moutons dans le prè d'en face.








Sun roses

"Sun roses" - solrosor, is the Swedish name for sunflowers. Isn't that pretty? I love seeing those vast fields of bright suns as I travel during the summer season.

A year ago, I visited the village of Zalipie in Poland, all decorated with painted flowers. I brought back a small cutting-board painted in the local style. I used it as a model for this embroidered dress.

I am very fond of Portuguese pottery in the shape of all kinds of colourful flowers and vegetables. Here's a small pot I brought back from Cascais (hello, Paula!)

The sunflower is the State flower of Kansas. In the 1930s, there was a popular quilt pattern with apppliqué sunflowers. I found one quarter of such an old quilt in the States. I added a binding to it and decided to give it as a housewarming present to the kitties of Midwinter Yarns after their move to Scotland. Before I left, my Améline Dentelle tested and approved it. And as you can see, Miss Poppy Midwinter has accepted the quilt, and sits on it while watching the sheep in the field across the road.

vendredi 7 juillet 2017

Les quilts gallois


Peut-être étiez-vous en avril dernier à Nantes, au salon Pour l’amour du fil ? Dans ce cas-là, j’espère que vous n’avez pas raté l’exposition des quilts anciens en provenance du Pays de Galles de la collection Jen Jones. Je voudrais vous parler un peu de ces quilts, de Jen Jones – et du Pays de Galles.

On a fabriqué des quilts au Pays de Galles depuis au moins le début du XIXe siècle. Souvent, ils sont construits en « médaillon » comme les patchworks typiques anglais : un carré au milieu, souvent en un tissu plus précieux, entouré d’un nombre de « cadres ». On rencontre aussi la forme « strippy », c'est-à-dire en bandes de deux couleurs, comme dans le Nord de l’Angleterre. Les patchworks exposés à Nantes, construits de centaines de petits morceaux de tissus, étaient particulièrement impressionnants !


Des quilts faits à partir de grands panneaux de laine, souvent en couleurs contrastées (rouge et noir par exemple) constituent une autre catégorie. Certes, ils font penser aux quilts des Amish de Pennsylvanie, mais aucune étude n’a pu démontrer l’influence d’une population sur l’autre.  On trouve aussi beaucoup de quilts faits dans un seul tissu, souvent fleuri, et merveilleusement matelassés. Le rembourrage est en général épais, car c’est une région où il fait froid, et grâce à l’élevage de moutons, la laine y est abondante !

J’ai dans ma collection un patchwork aux couleurs pâles, tellement usé qu’on voit la couverture blanche qui a servi de rembourrage. Néanmoins, les marques du beau matelassage sont toujours bien lisibles.

A la fin des années 1920, le Pays de Galles fût frappé par la Dépression. Une organisation, The Rural Industries Bureau, vint en aide aux familles des mineurs et proposa aux femmes de matelasser des objets : dessus de lit, couettes, robes de chambre, qui étaient ensuite achetés par des hôtels et boutiques de luxe à Londres et ailleurs. Ces objets étaient cousus en tissus unis de grande qualité (satin, soie).

Jen Jones est une américaine qui vit au Pays de Galles et qui a fait énormément pour promouvoir la connaissance des quilts de son pays d’adoption. Grace à elle, il y a un Quilt Centre dans la charmante ville de Lampeter, où elle monte chaque année une exposition thématique autour de sa collection. Cette année, c’est justement l’histoire des quilts de l’entre-deux-guerres qui y est exposée dans un cadre Art Déco, et vous pouvez voir les photos professionnels en cliquant ici

Le musée a un certain nombre de quilts en vente, mais vous en trouverez encore plus chez Jen qui habite un joli cottage à quelques minutes de Lampeter – voici le lien :

J’y ai trouvé deux patchworks fort intéressants, l’un du XIXe siècle, l’autre des années 1920. Les deux sont du type « médaillon », et, ce qui est intéressant, contiennent des échantillons de tissus, avec le même motif en plusieurs gammes de couleurs différentes et, en plus, ils sont réversibles. Pour ce qui est du deuxième, il semble que les tissus utilisés étaient de tout ce qu’on avait sous la main : des échantillons de coton, des chutes de chemises et même de la doublure !









Il faudrait aussi mentionner les couvertures tissées galloises, qui sont aujourd’hui fort convoitées par les collectionneurs. Le tissage et le choix de couleurs sont superbes. Il y a particulièrement un modèle de tissage, » Tapestry », qui est très original. Notre amie suédoise Lina avait repéré une couverture de ce modèle dans le film Le Retour de Nanny MacPhee, et elle fût aux anges quand nous lui avions trouvé une couverture pareille chez Jen ! Si vous en avez vu une sur ce blog récemment, c’est parce que mon chat Jaïpur était couché sur la mienne….

J’ai tenu à vous parler des quilts gallois aujourd’hui, car d’une manière, je dis au revoir à cette région. Après presque six ans à Caerphilly, ma fille et son mari, de MidwinterYarns, déménagent vers d’autres Celtes, en Ecosse ! Un pays tout aussi riche en traditions textiles que j’aurai hâte de découvrir, pour vous en parler ensuite.












Welsh quilts




If by chance you visited the fair Pour l’amour du fil in Nantes last April, I hope you did not miss the exhibition on Antique Welsh Quilts from Jen Jones’ collection. I would like to talk a little about those quilts, about Jen Jones – and about Wales.
Quilts have been made in Wales since at least the beginning of the nineteenth century. Often, they are of the “medallion” structure, like typical English quilts: a square of more precious fabric in the middle, surrounded by a number of « frames ». We also encounter the « strippy », consisting of alternating bands of two different fabric, similar to those found in the North of England. The patchwork quilts shown in Nantes made up of hundreds of small pieces were particularly impressive!


Quilts made of large woollen pieces, often in contrasting colours (for instance red and black) are another type. True, they bring to mind the Amish quilts of Pennsylvania, but there is no proof of any influence of one population on the other. We also find many wholecloth quilts, often floral ones, beautifully quilted. The wadding is generally heavy, as Wales is a chilly region. Thanks to sheep farming, there is no lack of wool.

In my collection, there is a pastel-coloured quilt, the top so worn that you can see the white blanket inside it. However, the traces of the wonderful quilting are still visible.

Wales was hit hard by the depression at the end of the 1920s. An organisation called The Rural Industries Bureau launched a scheme in order to help miners’ families: women received commissions to quilt various objects such as quilts, bedspreads or dressing gowns, which were then bought by luxury hotels and shops in London and elsewhere. These objects were made from high quality fabrics such as satin or silk.

Jen Jones is an American lady who lives in Wales and has devoted herself to promoting knowledge about the quilts of her second homeland. She has set up a Quilt Centre in the charming town of Lampeter, where she organises thematic exhibitions every year, based on her collection. This year, it is precisely the story of the inter-war quilts which is shown in an Art Deco setting, and you can view the professional photos here.

There is a number of quilts for sale at the museum, but you will find many, many more in Jen’s lovely cottage just a short drive away from Lampeter – here’s the link:

I found two very interesting patchwork quilts there, one from the nineteenth century, the other one from the 1920s. Both have the “medallion” structure and, what is interesting, contain a number of fabric swatches, with the same pattern in different colourways. Moreover, they are reversible! For the second one, the maker seems to have used any scrap within reach: not only fabric samples, but also scraps from shirt making and even lining fabric!






I should also mention Welsh blankets, which today are highly collectible, and no wonder, since the colours and the weaving patterns are wonderful. There is particularly one weaving pattern « Tapestry » which is extremely original. Our Swedish friend Lina had noticed a blanket with this pattern in the movie Nanny MacPhee and the Big Bang, and she was beside her with joy when we found a blanket for her, just like that one, at Jen’s! If you think you’ve seen a blanket like that on this blog recently, it was because my cat Jaipurr was stretched out on mine ….

I wanted to tell you about Welsh quilts today, since I am in a manner of speaking, about to “leave” this region. After almost six years in Caerphilly, my daughter and her husband, of Midwinter Yarns, are moving to another Celtic country, namely Scotland! Another country where textile traditions abound, and I am eager to discover them and of course, I will tell you about them.




 merci à Philippe Warichet pour les photos de Nantes

A lire/ To read: 
Jen Jones: Les quilts gallois/ Welsh Quilts, Quiltmania 2005
Jen Jones: Welsh Qults, Seren 2016